Vendredi 10 Octobre j'étais très motivée pour assister à la conférence inaugurale des Rendez-Vous de l'Histoire bien que cette dernière soit (avec celle de Cohn-Bendit) une des plus attendues du festival. Moi, je ne connais pas cette femme mais elle m'intrigue. Le choix du thème de sa conférence "Traces écrites, traces effacées... des exilés en Europe", l'Europe vue pas les immigrés m'a paru un choix très intéressant alors que les questions d'immigration sont au coeur des débats partout en Europe et particulièrement en France. Je me suis donc un peu intéressée à sa biographie et je me suis lancée dans la file d'attente interminable.
Tout le monde se presse et se bouscule, on chuchote à propos de l'interlocutrice dans les gradins, les appareils photos sont de sortie, le voilà notre festival de Cannes de l'Histoire! Mais tout à coup la foule s'apaise, un homme intervient pour annoncer la remise du prix de l'initiative laïque décerné par les assureurs partenaires de l'événement : la MAIF, la MGEN et la CASDEN. Ce prix vise à récompenser les initiatives en tout genre qui permettent la diffusion et la préservation de la laïcité. Et c'est une compagnie de théâtre alsacienne qui fut récompensée cette fois là, "Mémoire Vive". Le prix est remis à son directeur qui par un bref discours nous explique le but de son action. Cette compagnie souhaite à travers le théâtre rendre hommage aux oubliés de l'Histoire et cela par un dialogue interculturel. Leur dernière pièce est un triptyque autour de l'Histoire coloniale. Cette initiative est saluée par des applaudissements puis le brouhaha recommence.
Mais une fois de plus le silence se fait mais cette fois d'une façon plus marquée, plus solennelle. Assia Djebar vient d'entrer. C'est une dame âgée qui porte sur elle tout ce qu'elle a traversé. Il se dégage d'elle une grande force et une grande intelligence qui impose le respect et le silence à l'hémicycle. Un homme (que je n'ai pu identifier) nous la présente et fait l'éloge de sa carrière d'écrivaine et d'enseignante puis, elle commence.
Elle nous parle du déchirement des gens écartelés entre leur langue maternelle et ce qu'elle appelle la langue "d'hospitalité". Et elle est bien placée pour en parler et elle va se servir de son histoire personnelle et de son expérience, elle la Berbère qui a appris le français à l'école. C'est ainsi qu'elle a appelé son intervention "D'Europe, moi l'étrangère". Elle se d'écrit alors comme une "couturière de symboles" qui a en quelque sorte le devoir de transmettre certaines histoires. Et elle va nous en raconter beaucoup tout au long de son intervention, la ponctuant d'anecdotes glanées un peu partout au travers de ses nombreuses actions. Elle évoque par exemple cette chauffeuse de taxi turque venue en France pour apprendre une langue qui la faisait rêver. Elle nous parle de ces mères immigrées en Europe qui garde leur coeur tourné vers le sud et elle les appelle "les vigies du sud". Elle décrit aussi la tristesse de certaines filles d'immigrées qui ne rêvent que de retourner dans leur pays natal tellement le déchirement est insoutenable. Elle nous décrit parfaitement ce qui divise les générations : les immigrés, leurs enfants, leurs petits-enfants. Elle s'appuie sur ses rencontres avec des femmes immigrées partout en France mais aussi sur des rencontres faites aux USA où elle a vécu et enseigné. Elle parle aussi avec son coeur et son histoire.
Cette femme paraît avoir vécu mille vies et avoir compris beaucoup de choses. J'ai été particulièrement touchée par sa conférence d'où il a émané une certaine sagesse et un message d'espoir en prouvant que l'on peut aimer à la fois sa culture maternelle mais aussi sa culture d'adoption. C'est d'ailleurs pourquoi cette écrivaine écrit aussi bien en berbère qu'en français, faisant ainsi une sorte de trait d'union entre les deux cultures.
M-M H
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