jeudi 13 novembre 2008

L'Europe est-elle une idée millénaire ?

Juste avant la conférence inaugurale, une autre intervention a attiré en masse le public et manque de chance je l'avais choisie aussi ... Une fois de plus je fais une queue interminable sans savoir que j'en ferais une pire pour la conférence d'Assia Djebar. Pauvre ignorante que je suis, je m'interroge dans la file d'attente sur la raison de cette affluence, honte à moi, Elie Barnavi connaît pas... Mais dès sa présentation je rougis de mon ignorance. L'intervenant est un ancien diplomate, professeur à l'université de Tel Aviv et surtout le directeur scientifique du musée de l'Europe à Bruxelles. Les chuchotements de mes voisins m'apportent quelques compléments d'information et m'assurent de sa notoriété. 
Il débute son intervention en expliquant qu'il s'est interrogé sur le lien entre la politique, la religion et l'Europe. Il va ainsi d'une façon très intéressante remonter à l'Antiquité et y chercher les origines de l'Europe en tant "qu'association de pays" mais aussi en tant qu'ensemble géographique et culturel. Il décrit ainsi l'apport des différentes civilisations comme autant de couches de sédiments qui ont permis la création de l'Europe. Il évoque fait que pour beaucoup, l'Europe est une idée récente qui est apparue après la Seconde Guerre Mondiale et la Guerre Froide. Mais il revient très vite à l'Antiquité et dégage quatre piliers de l'Europe : la Grèce, Rome, l'Eglise catholique et les barbares.
 Ainsi, même si les Grecs et les Romains ne se préoccupaient pas de l'identité européenne, ils ont quand même contribué à créer une certaine unité culturelle et géographique. D'autre part le monde romain au moment où ses frontières s'étendaient le plus loin, recouvrait une grade partie de l'Europe actuelle. Il en est de même avec l'Eglise Catholique qui a entraîné une certaine unité culturelle et géographique . Le monde catholique correspondait lui aussi à une bonne partie de ce que nous considérons actuellement comme l'Europe. L'idée de l'Europe n'était alors peut-être pas un objectif mais elle existait déjà. Ainsi par exemple Charlemagne était appelé "le roi père de l'Europe" par son biographe. Il insiste ensuite sur l'importance de la distinction du culturel et du spirituel. Au Moyen-Age, l'Europe est un espace culturel délimité par les grandes universités. L'Europe naît en grande partie par opposition à l'Empire Romain de l'est, Byzance et après le schisme de 1054 chrétienté et Europe se superposent. A partir de cette époque on constate que les grandes crises affectent peu l'unité culturelle de l'Europe. Au XIVe siècle les élites perçoivent l'intérêt de cette Europe notamment vis à vis de la menace turque. Puis progressivement on voit toutes les élites s'intéresser à la question européenne et faire des propositions d'organisation fédérale ou confédérale de l'Europe. Sully par exemple parlera de "la République très chrétienne d'Europe", Richelieu et Mazarin s'y intéresserons aussi de très près et ce phénomène s'accélérera au XIXe et XX e siècles. 
Tout l'intérêt de cette conférence a été de montrer à quel point l'idée d'Europe est ancienne, que cela soit conscient ou pas, mais aussi de montrer qu'elle est surtout le fruit d'une identité culturelle forte et aux origines diverses. J'ai beaucoup apprécié cette intervention que j'ai trouvé très claire et plutôt facile d'accès tout en sachant que nous n'avons pas tous la même culture historique. Je trouve cette clarté essentielle dans le cadre des Rendez-Vous de l'Histoire qui ont un but de démocratisation et de vulgarisation. Il est très agréable pour le public que les pointures de l'Histoire se mettent au niveau du commun des mortels.

La parole de séverine et Renaud sur la préparation de l'émission

Renaud Dalmar et Séverine : « Il est plus facile d’avoir quatre à cinq semaines pour préparer les sujets, mais parfois beaucoup moins comme pour la crise où c’est du jour au lendemain. On a la partie enregistrement sur laquelle on peut passer 3 à 5 jours et c’est sans compter la partie recherche où le producteur cherche et oriente le sujet. Ensuite une fois le sujet défini c’est le travail avec le chargé de réalisation qui indique sous quelle forme peut être envisagé le sujet. Le boulot du réalisateur est de traduire l’idée du producteur en forme radiophonique car il y a un gros travail d’enregistrement, de montage, travail du son. »

La fabrique de l’histoire et les rendez-vous de l’histoire :

Emmanuel Laurentin : « La première année des Rendez-Vous de lHhistoire, nous n’étions pas présents pour deux raisons. Nous allions au festival du cinéma historique de Pessac à l’époque beaucoup plus connu que les rendez-vous de l’histoire. De plus un accord avait été passé entre les organisateurs des rendez vous de l’histoire et France Inter. Mais des personnes de France Culture dépêchées sur cet événement nous ont confirmé que c’était incontournable pour nous. En effet c’est l’endroit où l’on peut rencontrer notre public, celui de la fabrique et de France Culture. On peut éventuellement grossir leur rang. »

Question : Sur le site internet apparaît un mini programme des rendez vous de l’histoire. Est-ce votre sélection ?
Emanuel Laurentin : « Ce programme et toutes les informations sur les rendez vous de l’histoire émanent de la rédaction même du site internet. Ils ont demandé aux historiens du groupe d’écrire un texte court sur « Comment êtes vous devenus historiens. » Moi j’ai écrit un texte sur le thème « comment ne suis-je pas devenu historien. » »

Les médias, France culture et l’histoire :

Une de nos interrogations s’est portée sur le rapport entre l’Histoire et le média radio. On s’est demandé si la radio apparaissait aux yeux d’Emmanuel Laurentin comme le meilleur moyen de diffuser l’Histoire. Pour lui l’avantage de ce média se porte surtout sur la relation entre l’auditeur et l’animateur. En effet c’est plus confidentiel, on fait jouer l’imaginaire des auditeurs. De plus la radio permet une liberté que ne laisse pas par exemple la télé, cette liberté elle vient de l’absence de l’image. L’image devient centrale même à la radio avec le développement des sites internet. On observe une grosse demande de la part des auditeurs pour que des images soient mises en ligne. L’équipe et un peu réticente, ce n’est pas dans leur optique. Mais la Fabrique n’est pas pour autant totalement archaïque grâce au développement du Podcast. Au sein de France Culture on croyait que les émissions courtes allaient être les plus téléchargées. Le fait est que ce sont les plus longues qui en bénéficient le plus comme 2000 ans d’histoire, et la fabrique apparaît dans les dix premières parmi les plus téléchargées. Ceci montre la volonté du public d’écouter cette émission.
L’équipe reste très intéressée par le multimédia, elle a de nombreuses idées pour compléter l’émission mais pour le moment ce sont des restrictions de budgets qui bloquent un peu.

Qui sont les auditeurs de la « Fabrique »:

Emmanuel Laurentin : « la fabrique c’est l’endroit où l’on rend compte des préoccupations des chercheurs auprès d’un public non connaisseur d’histoire, non spécialisé. Nous voulons raccourcir le cycle. Il faut attendre longtemps pour qu’une notion sorte des labos et soit offerte aux publics. On essaie de raccourcir ce cycle entre l’élaboration de l’idée et le moment où elle est communiquée au public […] On tente de diversifier notre public notamment en diversifiant nos formes d’émission. On sait que le public de France Culture est un public particulier. Mais l’exemple du mercredi montre que cette forme convient à un public de non initiés. »

Renaud Dalmar : « Il arrive parfois que nous intervenions en tant que premières oreilles pour signifier aux historiens que leur discussion est inaudible ou alors pour 5 personnes en France. »

Les historiens invités de la Fabrique;

Les intervenants : les historiens :
Renaud Dalmare : « Les historiens sont très excités de venir parler de l’actualité en se servant de leur matière. »
Les contraintes de l’émission imposent aux historiens invités de passer correctement au micro. Le choix des historiens sinon se fait en fonction des liens entretenus par les productrices-historiennes avec leurs Universités d’origine et leurs anciens professeurs. Il existe aussi des liens particuliers qui se sont développés avec certains historiens lors des émissions et qui deviennent parfois des conseillers. La place est largement faite aux nouveaux titulaires du Doctorat et aux doctorants.
Le manque de disponibilité des historiens est une contrainte supplémentaire et les duplex restent rarement utilisés.
La Fabrique a la vocation de laisser la place à tout historien, avec l’idée de mettre en avant les débats historiographiques.
L’équipe reste réticente à se faire imposer les sujets d’émissions en fonction de la sortie de nouveaux ouvrages ; ils veulent garder la maitrise de leur programmation.
Il parait intéressant de signaler la présence dans cette émission de témoins. Ces derniers sont invités en l’absence d’historiens. C’est une volonté éditoriale qui refuse les débats fermés imposés par ces deux catégories de personnes qui ont chacune leur regard sur l’histoire. Le témoin a vécu cette période de l’histoire, l’historien l’analyse par des documents, témoignages en procédant par des recoupements. Dans cette optique on peut se demander quelle place est laissée à la mémoire dans l’Histoire. De toute façon le témoin a sa place dans l’émission de la fabrique et il permet à l’auditeur d’entrer dans le sujet de façon moins abrupte que l’historiographie par exemple.

- Etude conjointe de la place des historiens à la radio et dans la presse quotidienne‏ -

L’interview avec Emmanuel Laurentin m’a permis, ayant eu l’opportunité de me rendre au journal libération pour suivre la rédaction du journal spécial consacré aux historiens, de comparer l’intervention des historiens dans les différents médias que sont la radio et la presse quotidienne. Pour les deux, les animateurs font appel aux historiens soit pour qu’ils interviennent en rédigeant des articles ou étant interviewés, soit pour éclairer quelques points de l’actualité. Même si dans l’émission d’Emmanuel Laurentin l’actualité n’est pas l’élément fondamental, les archives sonores servent à appuyer les thèses des intervenants. Dans les deux médias, les références à l’histoire permettent de crédibiliser et d’appuyer mais également d’expliquer et d’approfondir les sujets et thèses abordées. D’autre part, dans les deux médias, il faut que les historiens s’adaptent à la technologie grâce à laquelle ils interviennent. Dans un cas, l’historien doit s’exprimer de façon claire, précise et succincte à l’oral, dans l’autre de façon claire, précise et succincte mais à l’écrit. La forme n’est donc pas la même mais les contraintes de fond le sont.
Bien que dans les deux cas la place, concrétisée par le nombre de caractères ou le temps de parole soit limitée et que cet exercice demande de l’adaptation aux historiens, des numéros spéciaux insistant sur un sujet en particulier peuvent exister. En effet, des pages d’approfondissement sont prévues et des émissions de radio spéciales aussi. De plus, le temps de parole et le nombre de caractères sont illimités sur internet. Les historiens sont donc toujours sollicités mais avec la technologie qu’est Internet, ils peuvent largement s’exprimer avec moins de contrainte de temps et de place.